PING-PONG DE L’ADN Découpe de balles de ping-pong, encre de Chine
Le support matériel de notre information génétique est l’ADN. Au sens strict, le génome de chaque être humain est unique (à l’exception de ceux, identiques, de vrais jumeaux).
Sur chaque cellule, ici matérialisée par une balle de ping-pong, dont la symbolique du rebond lui confère une dimension de mouvement, est dessinée une forme imaginaire et unique dont la création hybride rappelle une « chimère ».
En génétique, une « chimère » est un organisme animal issu d’une double ou multiple fécondation. Elle renvoie d’une certaine façon aux mythes grecs d’une créature fantastique hybride et symbolique d’un « multiple » d’êtres possédant les attributs de plusieurs animaux.
Posée sur un support ou suspendue dans l’air, arrêtée dans son mouvement, la fonction ainsi travestie de la balle me permet d’arrêter le temps et de jouer avec le ou les sens de la vie. En la détournant de sa finalité originelle du jeu, en la disséquant, je lui confère une autonomie retranscrite par le détachement de son « cocon ». Ce matériau de celluloïd donne à l’objet découpé une allure de petite forme solide mais d’apparence fragile. Travestissant une réalité imaginaire, je donne à voir à l’instar d’insectes étudiés, disséqués, et exposés, des découpes de balles conférant ainsi une dimension animale aux cellules.
“Remarquée au Salon de Montrouge en 2008, elle expose régulièrement depuis (Grand Palais à Paris, Palais des Beaux-arts à Bruxelles etc.). Nominée pour le Prix des jeunes plasticiens (2011), lauréate du Prix du Public (2013), et du Prix du Jury à la Biennale d’Art Contemporain de Cachan (2018).
Nathalie Borowski tente d’établir des rapprochements entre science et schémas sociétaux. “Et si l’organisation de la société, ses mouvements, ses réseaux, sa communication n’étaient que le reflet de notre constitution et modélisation cellulaire ?“
En se fondant sur des faits scientifiques établis, elle oriente sa recherche vers un univers onirique, allégorique et compose des analogies avec le monde extérieur. Cellules, gènes, chromosomes, migrations cellulaires, systèmes de communication sont autant de prétextes à une réflexion sur le thème de l’ADN. Tel un organisme vivant en perpétuelle évolution, son travail tente d’en déployer les signes et les codes. Ruyer concevait la spatialité chez Bergson comme une «parfaite extériorité des parties les unes par rapport aux autres, en une indépendance réciproque complète» (R. Ruyer, La Conscience et le corps – 1937). C’est dans cette veine que l’oeuvre de Nathalie Borowski - qui décline ses obsessions - travaille la répétition et la multiplication des signes. Rien n’est mécanique dans sa création : la variation de la taille des cercles, des découpes, des matériaux utilisés comme support - et la réflexion sur l’agencement de l’espace dans lequel ces formes sont répétées - contribuent à interroger l’observateur sur le sens de ce qui nous compose.
L’artiste évoque à travers ses paysages imaginaires les migrations cellulaires. Ses créations s’inscrivent dans un temps long qui n’est pas sans rappeler le lent déplacement des cellules et questionner notre rapport au temps. A l’instar d’une géographie en perpétuel et imperceptible mouvement, son travail se compose de dessins et signes répétitifs. Il y est question de géométrisation d’un paysage, de communication, d’animalité… Le signe plastique parle de lui-même, courbe finie ou infinie, espace clos, le cercle symbolise par essence un perpétuel recommencement.
A l’aune de Sisyphe, qu’Albert Camus imaginait heureux d’accomplir chaque jour la même tâche, et qui à force de l’accomplir en percevait mieux le sens, l’approche répétitive de l’artiste prend toute sa signification.“
Texte de Stéphane Manin